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Guide pratique du droit relatif à la maltraitance et à la négligence des personnes âgées

Le droit dans les réserves

Le droit s’appliquant aux interventions dans les cas de maltraitance peut s’avérer différent dans les réserves en raison du partage des compétences que prévoient la Constitution canadienne et la Loi sur les Indiens[1]. La présente section décrit les lois qui s’appliquent à la maltraitance et à la négligence des personnes âgées dans le contexte des réserves. Elle recense également des ressources utiles pour élargir sa compréhension de leurs droits.

Le terme colonial juridique « Indien » est utilisé uniquement dans les citations des textes de loi. Ce terme n’est pas utilisé pour désigner les peuples autochtones en général.

Cette section aborde brièvement :

  1. le droit de la famille et la propriété;
  2. l’ordonnance de protection et l’engagement de ne pas troubler l’ordre public;
  3. les politiques des bandes;
  4. l’aide au revenu;
  5. des ressources pour approfondir la question.

1. Compétence dans les réserves

La Constitution accorde au gouvernement fédéral la compétence sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens »[2]. La Loi sur les Indiens a été promulguée en vertu de cette autorité. Elle définit le cadre juridique applicable aux « Indiens » et aux terres de réserve.

Les terres de réserve sont différentes des autres terres sur les plans suivants :

  • Régime foncier : le droit de propriété sur les terres de réserve est détenu par la Couronne et non par des particuliers ou des organismes[3]
  • Aliénabilité : La Loi sur les Indiens prévoit des restrictions sur les droits de possession et d’aliénation des terres de réserve. Les terres ne peuvent pas être saisies par voie judiciaire ni être hypothéquées ou mises en gage au profit de personnes qui ne sont pas membres d’une Première Nation[4].
  • Surveillance ministérielle : Le ministre doit approuver ou autoriser la plupart des transactions foncières en vertu de la Loi sur les Indiens[5].

La Loi sur les Indiens s’applique aux terres, aux logements, à la propriété foncière, aux testaments, à la tutelle, aux finances et aux bandes. Une loi provinciale incompatible avec la Loi sur les Indiens est inapplicable[6].

La Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales n’encadrent pas tous les domaines possibles du droit. Ainsi, une combinaison de lois fédérales, provinciales et autochtones, de lois de bandes et de politiques gouvernementales et de bandes s’applique dans les réserves.

2. Droit de la famille et propriété

Des lois fédérales, provinciales et territoriales s’appliquent aux affaires familiales. La Loi sur le divorce[7] réglemente le divorce d’un couple de conjoints mariés, la pension alimentaire pour les enfants et le conjoint, ainsi que les ordonnances parentales. Les conjoints de fait ne sont pas visés par la Loi sur le divorce qui s’applique aux conjoints mariés dans les réserves et hors réserve[8].

La plupart des lois provinciales et territoriales s’appliquent dans les réserves, sauf en ce qui concerne le partage des biens puisque celles qui s’appliquent aux biens immobiliers sont inapplicables dans les réserves.

La Loi sur les Indiens et la Loi sur le divorce présentent toutes les deux des lacunes majeures en ce qui a trait au partage des biens dans les réserves, particulièrement le foyer familial. La Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux[9] corrige certaines de ces lacunes. Elle régit les unions de fait, le droit d’occupation du foyer familial, la vente du foyer familial et la répartition de la valeur du foyer. Elle prévoit également des mesures d’urgence en cas de violence (voir ci-après)[10].

3. Ordonnances de protection et engagement de ne pas troubler l’ordre public

3.1 Aperçu

Une personne âgée victime de violence familiale ou de maltraitance peut obtenir une ordonnance de protection en vertu de différentes lois :

  • L’ensemble des provinces et des territoires ont adopté des lois sur le droit de la famille et sur la violence familiale qui autorisent le tribunal à rendre différents types d’ordonnances de protection à l’égard de personnes victimes de maltraitance ou de violence dans une relation. Ces dispositions s’appliquent à différents types de relations familiales. La législation provinciale relative à la famille ou à la maltraitance s’applique aux personnes autochtones qui vivent dans les réserves et hors des réserves. Ces dispositions sont résumées dans les sections de ce site consacrées aux provinces et aux territoires.
  • Le Code criminel de compétence fédérale prévoit le recours à un engagement de ne pas troubler l’ordre public (aussi connu comme une ordonnance d’engagement en vertu de l’article 810) dans certaines circonstances. La section sur le droit criminel fournit des renseignements sur l’engagement de ne pas troubler l’ordre public[11].
  • La Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux prévoit des mesures de protection.

3.2 Occupation exclusive du foyer familial dans les réserves

La Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux prévoit l’occupation exclusive du foyer familial dans une réserve. Le tribunal peut octroyer à un époux ou à un conjoint de fait le droit exclusif d’occuper le foyer familial même si cette personne n’est pas membre d’une Première Nation. Le tribunal peut aussi rendre une ordonnance provisoire d’occupation exclusive.

  • Ordonnance du tribunal
  • 20(1)Sur demande de l’époux ou conjoint de fait, qu’il soit ou non membre d’une première nation ou Indien, le tribunal peut, par ordonnance, lui octroyer le droit exclusif d’occuper le foyer familial et l’accès raisonnable à celui-ci, aux conditions et pour la période qu’il précise.
  • Ordonnance provisoire
  • (2)Dans l’attente de la décision sur cette demande, le tribunal peut rendre une ordonnance provisoire au même effet sur demande de l’un des époux ou conjoints de fait[12].

Le tribunal prend en considération plusieurs facteurs pour décider d’octroyer l’occupation exclusive du foyer familial, notamment :

  • des faits de violence familiale ou de violence psychologique;
  • l’intérêt de toute personne âgée ou atteinte d’une déficience qui réside dans le foyer familial;
  • l’intérêt de tout enfant qui réside dans le foyer familial;
  • les intérêts des membres de la Première Nation vivant dans une réserve;
  • la situation financière de la famille;
  • l’état de santé des époux ou des conjoints de fait;
  • la disponibilité d’un autre logement[13].

L’ordonnance rendue peut comporter des dispositions :

  • enjoignant à une personne de quitter le foyer familial et de ne pas y revenir;
  • enjoignant à une personne de payer une partie des frais de logement ou d’entretien du foyer;
  • enjoignant à une personne de veiller à la préservation du foyer familial[14].

3.3 Ordonnance de protection d’urgence

La Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux précise aussi la façon d’obtenir une ordonnance de protection d’urgence en cas de violence familiale et d’un risque imminent de préjudice à une personne ou de dommage à ses biens. Une ordonnance de protection d’urgence peut être valide pour une période maximale de 90 jours.

  • Ordonnance du juge désigné
  • 16 (1) Sur demande ex parte de l’époux ou conjoint de fait, le juge désigné de la province où est situé le foyer familial peut, aux conditions qu’il précise, rendre une ordonnance — dont la durée maximale est de quatre-vingt-dix jours — qui contient une ou plusieurs des dispositions prévues au paragraphe (5), s’il est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :
    • a) il y a eu violence familiale;
    • b) en raison de la gravité ou de l’urgence de la situation, l’ordonnance doit être rendue sans délai afin d’assurer la protection immédiate de la personne qui risque de subir un préjudice ou du bien qui risque de subir des dommages[15].

La Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux donne une définition de violence familiale, à savoir tout acte de maltraitance physique, psychologique ou sexuelle ou d’exploitation financière commis contre un époux ou un conjoint de fait, un enfant ou toute autre personne résidant dans le foyer familial. Cette définition large peut inclure la maltraitance des personnes âgées.

  • Définition de violence familiale
  • 16 (9) Au présent article, violence familiale s’entend des actes ou omissions ci-après commis par l’un des époux ou conjoints de fait contre l’autre, tout enfant à la charge de l’un ou l’autre ou toute autre personne qui réside habituellement dans le foyer familial :
    • a) le fait d’employer intentionnellement la force sans autorisation légitime ou consentement, à l’exclusion des actes commis en légitime défense;
    • b) l’acte ou l’omission commis intentionnellement ou par insouciance et qui entraîne des préjudices corporels ou des dommages aux biens;
    • c) l’acte ou l’omission commis intentionnellement ou par insouciance qui cause une crainte raisonnable de préjudices corporels ou de dommages aux biens, ou la menace de commettre un acte ou une omission qui cause une telle crainte;
    • d) les agressions ou abus sexuels, ou la menace de tels agressions ou abus;
    • e) la séquestration sans autorisation légitime;
    • f) le harcèlement criminel[16].

La Loi prévoit plusieurs facteurs que le tribunal doit prendre en considération pour statuer sur une demande d’ordonnance de protection :

  • Facteurs
  • 16 (4) Le juge désigné tient compte notamment des facteurs ci-après lorsqu’il statue sur la demande :
    • a) l’historique de la violence familiale et sa nature;
    • b) l’existence d’un danger immédiat pour la personne qui risque de subir un préjudice ou le bien qui risque de subir des dommages;
    • c) l’intérêt de tout enfant à la charge de l’un ou l’autre des époux ou conjoints de fait, notamment l’intérêt qu’a l’enfant membre d’une première nation à maintenir des liens avec celle-ci;
    • d) l’intérêt de toute personne âgée ou atteinte d’une déficience qui réside habituellement dans le foyer familial et dont l’un ou l’autre des époux ou conjoints de fait s’occupe;
    • e) le fait qu’une personne autre que les époux ou conjoints de fait détient un droit ou intérêt sur le foyer familial;
    • f) la période pendant laquelle le demandeur a habituellement résidé dans la réserve;
    • g) l’existence de circonstances exceptionnelles nécessitant qu’une personne autre que l’époux ou conjoint de fait du demandeur quitte le foyer familial pour donner effet à l’octroi au demandeur du droit d’occupation exclusive de celui-ci, notamment le fait que la personne a commis des actes ou omissions visés au paragraphe (9) contre le demandeur, tout enfant à la charge de l’un ou l’autre des époux ou conjoints de fait ou toute autre personne qui réside habituellement dans le foyer familial[17].

L’ordonnance peut contenir des dispositions :

  • octroyant l’occupation exclusive du foyer familial;
  • enjoignant à un agent de la paix d’expulser une personne du foyer familial, peu importe son statut;
  • ordonnant à une personne de ne pas se trouver près d’un lieu;
  • enjoignant à un agent de la paix d’accompagner une personne pour lui permettre de récupérer ses effets personnels;
  • imposant toute autre mesure jugée nécessaire par le tribunal[18].

4. Politiques des bandes

Outre les lois fédérales et provinciales, certaines lois et politiques mises en place par les conseils de bande pourraient s’appliquer à la maltraitance et à la négligence des personnes âgées[19]. Par exemple, la Nation Tsleil-Waututh a adopté une loi qui régit les ordonnances d’occupation exclusive et les ordonnances de protection d’urgence[20].

5. Aide au revenu

Certaines personnes âgées qui fuient la maltraitance sont dans l’obligation de présenter une demande d’aide au revenu pour obtenir les ressources nécessaires à leurs besoins fondamentaux. L’assurance-emploi relève du gouvernement fédéral et s’applique donc dans les réserves[21]. Les lois en matière d’aide au revenu et d’aide sociale adoptées par les provinces et les territoires ne s’y appliquent pas. Ce sont les conseils de bande et d’autres organismes dans les réserves qui fournissent une aide sociale aux personnes qui y vivent[22]. Le gouvernement fédéral assure le financement des organismes concernés pour appuyer ou aider à appuyer leurs programmes d’aide au revenu.

La bande ou l’organisme qui fournit l’aide sociale dans la réserve doit respecter la politique fédérale relative à l’administration des programmes d’aide au revenu[23]. Cette politique prévoit une aide d’urgence aux personnes dont l’admissibilité est documentée.

6. Ressources

  1. Atira Women’s Resource Society, Your Rights on Reserve: A Legal Tool-kit for Aboriginal Women in BC, Vancouver, janvier 2014, en ligne : <www.atira.bc.ca/sites/default/files/Legal%20Tool-kit-April-14.pdf>.
  2. JP Boyd on Family Law, « Aboriginal Families », en ligne : Clicklaw <wiki.clicklaw.bc.ca/index.php?title=Aboriginal_Families>.
  3. National Aboriginal Circle Against Family Violence, Anagosh: Legal Information Manual for Shelter Workers, Kahnawake, mars 2017, en ligne : <static1.squarespace.com/static/5f738ba8104fc0629adf2e86/t/5f755202fcfe7968a6b20e2f/1601524229069/NACAFV+-+EN+-+Anangosh+Manual.pdf>.
  4. Centre for Excellence for Matrimonial Real Property, A Toolkit for On-Reserve Matrimonial Real Property Dispute Resolution, Victoria, 2015, en ligne : <www.coemrp.ca/wp-content/uploads/2015/12/Final-MRP-DR-Toolkit-Version-1.0.pdf>.
  5. Michelle Mann-Rempel, First Nations Real Property Laws Final Report, mars 2015, en ligne : <www.coemrp.ca/wp-content/uploads/2015/12/report-on-existing-first-nation-matrimonial-real-property-laws.pdf>. Voir l’annexe pour une liste des Premières Nations ayant adopté une loi sur les biens matrimoniaux.
  6. Gouvernement du Canada, Chercheur de prestations, en ligne : <srv138.services.gc.ca/daf/s/7e48b4c8-9635-4b0e-83d1-75acccecd0d8?GoCTemplateCulture=fr-CA>.

Notes de fin d’ouvrage

[1] Loi sur les Indiens, LRC 1985, c 1-5.

[2] Loi constitutionnelle de 1867,30 & 31 Victoria, c 3, art 91(24).

[3] Loi sur les Indiens, supra note 1,art 18.

[4] Ibid. Les articles 24 et 28 de la Loi interdisent le transfert de terres de réserve à toute entité autre que la bande ou ses membres. Cela limite effectivement le marché du logement dans les réserves. L’article 89 de la Loi sur les Indiens exempte de saisie et d’hypothèque toutes les terres de réserve, à l’exception des droits découlant d’un bail sur une terre désignée.

[5] Ibid. Canada, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Évaluation du logement dans les réserves, janvier 2017, en ligne : <www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1506018589105/1555328867826>.

[6] Loi sur les Indiens, supra note 1,art 88; Atira Women’s Resource Society, Your Rights on Reserve: A Legal Tool-kit for Aboriginal Women in BC, Vancouver, janvier 2014, en ligne (pdf) : <www.atira.bc.ca/sites/default/files/Legal%20Tool-kit-April-14.pdf>[Atira, Rights on Reserve].

[7] Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 (2e suppl.).

[8] Ibid; Atira, Rights on Reserve, supra note 6, aux pp 43-44.

[9] La Loi sur les foyers familiaux dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, LC 2013, c 20 [Loi sur les foyers familiaux. La Loi sur les foyers familiaux ne s’applique pas lorsqu’une Première Nation a adopté ses propres lois en la matière, par exemple, un code foncier en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, LC 1999, c 24. Canada, Foire aux questions – Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux, septembre 2011, en ligne : <www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2011/09/foire-questions-loi-foyers-familiaux-situes-reserves-droits-interets-matrimoniaux.html>.

[10] Loi sur les foyers familiaux, supra note 9;Atira, Rights on Reserve, supra note 6, aux pp 46-50.

[11] Code criminel, LRC 1985, c C-46, art 810; Atira, Rights on Reserve, ibid, aux pp 74-75.

[12] Loi sur les foyers familiaux, supra note 9, arts 20(1), 20(2).

[13] Ibid, art 20(3).

[14] Ibid, art 20(4).

[15] Ibid, art 16(1).

[16] Ibid, art 16(9).

[17] Ibid, art 16(4).

[18] Ibid, art 16(5).

[19] Atira, Rights on Reserve, supra note 6, aux pp 12, 37, 49, 78.

[20] Tsleil-Waututh Nation, TWN Laws & Bylaws, Matrimonial Real Property Law 2015, parties 8 et 9, en ligne : <twnation.ca/twn-laws/>.

[21] Canada, Assurance-emploi et prestations régulières : Êtes-vous admissible, octobre 2021, en ligne : <www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/assurance-emploi-reguliere/admissibilite.html>.

[22] National Aboriginal Circle Against Family Violence, Anagosh: Legal Information Manual for Shelter Workers, Kahnawake, mars 2017, à la p 55, en ligne (pdf) : <static1.squarespace.com/static/5f738ba8104fc0629adf2e86/t/5f755202fcfe7968a6b20e2f/1601524229069/NACAFV+-+EN+-+Anangosh+Manual.pdf>.

[23] Loi constitutionnelle de 1867, supra note 2,arts 91, 92; Atira, Rights on Reserves, supra note 6, à la p 12; Services aux Autochtones Canada, Programme d’aide au revenu dans les réserves, 23 juin 2020, en ligne : <www.sac-isc.gc.ca/fra/1100100035256/1533307528663>; Services aux Autochtones Canada, Lignes directrices nationales du programme d’aide au revenu 2019 à 2020, 3 décembre 2019, en ligne : <www.sac-isc.gc.ca/fra/1565185888233/1565187157281>.